Sabine Anagnostou
Missionspharmazie.
Konzepte, Praxis, Organisation und wissenschaftliche Ausstrahlung

Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2011, 465 p.

Sabine Anagnostou développe dans cet ouvrage le concept de « pharmacie missionnaire » qu’elle différencie de la « médecine des cloîtres » (Klostermedizin) utilisée pour le contexte historique du Moyen Âge et de la « mission médicale » (Ärztliche Mission), notion liée au début du xixe siècle. La pharmacie missionnaire est – selon l’hypothèse de l’auteur – le prédécesseur historique de la mission médicale de l’époque moderne.

Elle définit la pharmacie missionnaire comme une forme particulière de la pharmacie issue du principe chrétien de la caritas et des situations médicales-pharmaceutiques précaires dans les pays de mission du xvie au xviiie siècle. Cette forme spécifique est essentiellement caractérisée par quatre éléments : des écrits à contenu à la fois missionnaire et pharmaceutique, des remèdes issus des contacts interculturels faciles à fabriquer, l’institutionnalisation des pharmacies des ordres religieux, et – trait particulièrement important – par un transfert international et intensif des savoirs et des médecines qui a durablement influencé et transformé la materiae medicae de plusieurs pays. La pharmacie missionnaire se différencie de la « pharmacie des cloîtres » notamment par sa dimension globale qui n’est plus, comme c’est le cas pour la « médecine des cloîtres », limitée à son contexte local, l’environnement direct du cloître. La pharmacie missionnaire se distingue de la « mission médicale », telle qu’elle est portée au xixe siècle essentiellement par les mouvements protestants, par un personnel qui, la plupart du temps, ne possède pas de formation académique en pharmacie ou médecine ainsi que par une alliance étroite entre des méthodes thérapeutiques européennes et non-occidentales.

Le sujet extrêmement large de « la pharmacie missionnaire du xvie au xviiie siècle » est délimité par l’auteur qui se focalise sur les activités des jésuites. La Compagnie de Jésus fut constitutive, pour la création de ce réseau transnational, du transfert médical qui a donné une dimension globale à la pharmacie missionnaire. L’ordre réformateur des débuts de l’époque moderne, les jésuites, est mis en relief par la comparaison avec les ordres mendiants, constitués depuis le Moyen Âge, comme les dominicains et les franciscains qui possédaient également des pharmacies missionnaires, sans pour autant établir un réseau transnational. L’auteur explique cette particularité jésuite par la forte centralisation de l’ordre, la mobilité des membres et leur dispersion dans le monde entier, leur flexibilité à s’adapter aux conditions locales, notamment à intégrer des thérapies indigènes et aussi par leur spiritualité ignatienne comme fondement philosophique et théologique de leur engagement envers les malades. Si les raisons liées à l’histoire des jésuites et à leur expansion mondiale ainsi que celles liées aux contextes politiques dans lesquels les pharmacies missionnaires se développent sont expliquées de manière convaincante pour comprendre la spécificité jésuite, en revanche l’argumentation qui cherche l’explication de la constitution d’un réseau global d’échange pharmaceutique dans la spiritualité ignatienne est moins éloquente.

À défaut d’études sur lesquelles une analyse pourrait se baser, les ordres féminins et leurs activités dans le domaine médical et pharmaceutique ne sont pas prise en compte dans cet ouvrage, si ce n’est pour constater que les religieuses ne participaient peu à la pharmacie missionnaire entre le xvie et le xviiie siècle.
En revanche, l’analyse de la dynamique jésuite est rapprochée des missions protestantes et de leurs activités pharmaceutiques. Une partie entière est réservée à la mission danoise de Halle (Dänisch-Hallesche Mission) et aux piétistes de Halle (Hallesche Pietisten) qui constituent le point de départ de la mission protestante européenne. Tandis que les piétistes de Halle envoyaient des médecins formés, les jésuites nommaient des missionnaires sans connaissances médicales académiques. La plupart ont acquis ses connaissances en matière de pharmacopée sur le tas. C’est peut-être pour cette raison qu’ils furent plus volontaires, mais aussi plus contraints à adapter les savoirs thérapeutiques locaux que les médecins piétistes formés à la médecine occidentale et convaincus de sa supériorité par rapports aux pratiques indigènes. En ce qui concerne la mission de Halle, le ravitaillement en médicaments se fit essentiellement de Halle vers les pays de mission. Ce monopole fut motivé par des raisons économiques, puisque la vente de médicaments devrait financer les orphelinats au pays. L’administration de la mission de Halle ne fut donc point intéressée à remplacer les médicaments occidentaux par des remèdes locaux et s’attachait à garder le secret sur les recettes pour éviter des imitations. Ce commerce de médicaments de la mission de Halle se distinguait considérablement du transfert de médicaments des jésuites dans les pays de mission catholiques. Envisagé comme un service rendu aux malades, le ravitaillement en médicaments des jésuites s’est organisé peu à peu pour devenir un véritable système de logistique centralisé. En même temps, les échanges s’effectuaient dans les deux sens en intégrant des remèdes locaux dans la pharmacie officielle. Les recherches en pharmacopée des missionnaires jésuites furent encouragées par leur hiérarchie et eurent une importante réception en Europe, où on les discutait dans des cercles savants. La mission de Halle encourageait son personnel à s’investir dans des collectes de plantes ou des recherches botaniques uniquement pour pouvoir éventuellement découvrir des substances utiles pour la fabrication de leurs propres médicaments. En plus, les missionnaires-médecins furent souvent obligés de travailler afin de gagner de l’argent pour les besoins quotidiens de leurs familles et n’avaient peu de temps à consacrer à des recherches. La pharmacie pratiquée par les piétistes dans les pays de mission fut donc basée sur un exercice purement européen, peu adapté aux besoins locaux. En conséquence, Anagnostou ne compte pas le commerce de médicaments du mouvement piétiste de Halle parmi la pharmacie missionnaire. Ceci n’exclut évidemment pas que les deux systèmes de transferts, piétistes et jésuites, ont en commun une motivation spirituelle et religieuse liée au même principe chrétien de la caritas. Celle-ci est pourtant interprétée de manière bien différente : tandis que les jésuites comprennent la caritas comme une expression de l’amour de Dieu envers les hommes et le service aux souffrants comme une louange suprême à Dieu, les piétistes de Halle considèrent la caritas plutôt comme une expression de la charité du croyant et sa participation active à l’érection du royaume de Dieu. Deux visions différentes de la place de l’individu.

Après avoir explicité dans la première partie de l’ouvrage les bases de la pharmacie missionnaire ainsi que l’histoire des différents ordres et leurs charismes particuliers tournés vers les soins des malades, la deuxième partie du livre est consacrée à une analyse très détaillée de cinq compendiums pharmaceutiques. Ces écrits ont été rédigés par des jésuites à destination de leurs confrères pour expliquer des remèdes faciles à fabriquer et à utiliser, accompagnés des réflexions théologiques ou pastorales sur la caritas.

La troisième partie du livre éclaire l’institutionnalisation des pharmacies jésuites, leur internationalisation et la constitution de véritables réseaux pour le transfert de médicaments, de littérature pharmaceutique, d’instruments de travail et d’échanges d’expériences. Dans de nombreux pays de mission, les pharmacies missionnaires jésuites sont devenues des centres de ravitaillement en médicaments occidentaux pour les arrière-pays. Les missions reculées à l’intérieur des pays envoyaient, à leur tour, des plantes médicinales locales aux centres pharmaceutiques jésuites se situant dans les agglomérations urbaines qui furent ainsi intégrées dans la pharmacie officielle. Anagnostou analyse huit pharmacies jésuites dans l’empire colonial espagnol en particulier. Ces réseaux de transfert n’existaient pas seulement au sein des pays de mission, mais aussi entre les pharmacies jésuites du monde entier, entre celles de l’Europe, notamment la pharmacie du Collegio Romano, et les missions d’outre-mer. La première pharmacie jésuite en Europe date de 1566. Celle du Collegio Romano fut, entre le xvie et le xviiie siècle incontestablement le centre d’un réseau dense qui assurait des échanges pharmacologiques, d’études pharmacopée-botaniques et de certains simples qui ont influencé de manière significative la materia medica européenne et internationale. Quelques drogues pharmaceutiques et médecines composées furent diffusées sur des longues distances dans ce contexte missionnaire et illustrent le transfert médical. La thériaque (theriaca) romaine fut diffusée à partir de l’Europe, la thériaque brésilienne à partir de l’Empire colonial portugais, le quinquina - le premier médicament efficace contre le paludisme- à partir de l’Empire colonial espagnol, la fève de Saint-Ignace – dont on isola plus tard le Strychin – à partir de l’Asie du sud-est et le lapis de Goa à partir de l’Inde et l’Extrême Orient.

Anagnostou nous livre avec cet ouvrage une description détaillée et érudite de la pharmacie missionnaire jésuite du xvie au xviiie siècle et de ses connections transnationales. On aurait aimé lire cette étude de cas, consacrée aux jésuites, à la lumière des analyses récentes du transfert des savoirs en contexte colonial, tels qu’ils ont été développés par Rebekka Habermas, Patrick Harries et d’autres. Néanmoins, à la jonction de l’histoire d’ordres religieux anciens et de celle des congrégations catholiques et sociétés missionnaires protestantes du xixe siècle, marquée par une approche interdisciplinaire entre l’histoire de la médecine et de l’Église, l’anthropologie de la mission et l’ethnopharmacologie, ce livre intéressera autant les historiens que les anthropologues.

Katrin Langewiesche

Relinde Meiweis
Von Ostpreussen in die Welt.
Die Geschichte der ermländischen Katharinenschwestern (1772-1914)

Ferdinand Schöningh, Paderborn, 2011, 263 p.

Après son œuvre très remarquée sur des congrégations féminines catholiques en Allemagne au xixe siècle (Arbeiterinnen des Herrn. Katholische Frauenkongregationen im 19. Jhd, 2000, Frankfurt a. Main), Relinde Meiweis, historienne allemande, publie maintenant une monographie stimulante sur une congrégation particulière, les ermländischen Katharinenschwestern.

Les Sœurs de la Sainte Katharina (Schwestern von der heiligen Katharina) – fondées en 1571 à Braunsberg dans le Ermland – faisaient partie des pionnières d’une forme de vie religieuse féminine qui a connu un essor au cours du xixe et dans la première moitié du xxe siècle. Situé au nord-est des frontières de l’Europe, le Ermland constitua un bastion catholique au sein de la Prusse orientale, majoritairement protestante. Le Ermland abrita un mouvement catholique qui résista à la Réformation. Dans ce contexte particulier, la monographie raconte la croissance et l’évolution de cette congrégation de la fin du xviiie siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. L’auteur présente un vaste panorama qui commence sous l’Ancien Régime au dernier quart du xviiie siècle, traverse les temps des changements sociaux et économiques dramatiques du xixe siècle jusqu’au moment de la prospérité économique et des réformes sociales, peu avant la Seconde Guerre mondiale. Cette époque fut, pour l’Église catholique, une période de changements considérables : le siècle des Lumières et la sécularisation limitaient d’abord son rayon d’action, mais les changements sociaux et économiques créèrent ensuite des perspectives nouvelles. Au sein de ces constellations historiques complexes, R. Meiweis dessine la place des Katharinenschwestern en posant la question de la part d’autonomie dont disposaient les religieuses face à l’église et dans la société durant les siècles. Après un chapitre sur la fondatrice, Regina Protmann, et les bases spirituelles et sociales de la congrégation, cinq chapitres chronologiques retracent la trajectoire des Katharinenschwestern.
Dès leurs débuts, les sœurs de la Sainte Katharina voyaient leur place au sein de la paroisse et non pas derrière les murs d’un cloître. Elles soignaient des vieillards et des malades et éduquaient des filles. De la sécularisation du Ermland par le partage de la Pologne-Lituanie en 1772 à la Première Guerre mondiale, la vie professionnelle et la vie religieuse des sœurs changèrent plusieurs fois en fonction des événements historiques. Les religieuses furent obligées de trouver un équilibre entre la vita contemplativa et la vita activa afin de défendre leur place dans le monde et dans l’Église changeante. Dans la première moitié du xixe siècle, une évolution importante eut lieu au sein de la congrégation avec une implication grandissante des sœurs dans l’éducation des filles. Bien que l’Etat investissait dans l’instruction élémentaire des filles, au xixe siècle l’accès des filles à l’enseignement supérieur était très rare en Prusse orientale. Les Katharinenschwestern utilisaient ce manque d’engagement étatique afin de proposer leurs écoles confessionnelles spécialement pour filles. L’utilité sociale de leurs œuvres, reconnue par l’État, ouvre ici, comme souvent pour d’autres congrégations ailleurs dans le monde, un espace d’autonomie aux religieuses.
R. Meiweis montre que, contrairement à des opinions répandues, l’enseignement religieux n’était pas prépondérant dans ces écoles. En 1827, les sœurs enseignaient la religion dans l’école des filles de Braunsberg seulement deux heures par semaine. Le reste du temps était consacré à la lecture, l’écriture, les calculs et l’histoire. Entre 1820 et 1830, la congrégation des Sœurs de la Sainte Katharina posa les bases d’une éducation pour filles, dans les quatre plus grandes villes du Ermland. En même temps, des jeunes femmes eurent la possibilité de se former comme institutrices et de travailler dans cette profession. Soutenu par l’évêque, Joseph von Hohenzollern, et les administrations municipales de l’époque, les sœurs prirent en main l’éducation des filles. Durant les années 1850, la congrégation avait aménagé, dans presque tout le Ermland, des écoles élémentaires et mis en place une formation professionnelle et religieuse pour les jeunes sœurs.

À partir de 1860, après l’élection d’une nouvelle supérieure, la congrégation reprit, parmi ses domaines d’activités, les soins de malades et le travail pastoral, inscrits depuis les débuts dans la constitution. R. Meiweis propose plusieurs pistes pour comprendre ce changement. Peut-être les religieuses cherchaient-elles, à cette époque, un retour au charisme originel de leur congrégation, peut-être aussi la nouvelle supérieure et son conseil anticipaient les difficultés que poserait la concentration sur une seule activité. Toutes les jeunes femmes qui voulaient se consacrer à une vie religieuse et communautaire n’avaient pas forcément une inclinaison pour l’enseignement. En élargissant ses activités, la congrégation ouvrait ses portes à toutes les jeunes femmes et non pas seulement à celles qui avaient une vocation pour l’éducation. Une autre explication de ces transformations des domaines d’intervention des sœurs (de l’enseignement à la santé) est le contexte social. Le choléra laissa, à partir de 1866, beaucoup d’orphelins et de malades à Braunsberg dont les Katharinenschwestern s’occupèrent désormais.

Au début de la période étudiée par R. Meiweis, en 1772, les sœurs travaillaient dans quatre petites communautés ; depuis les années 1830, la congrégation s’agrandissait dans le Ermland, puis vers la fin des années 1870 elle essaima en Finlande, en Russie et en Angleterre. Ce départ vers d’autres régions fut motivé par le Kulturkampf (1871-1887). Les mesures que l’État prussien prit contre l’église catholique, durant les années 1870, transformèrent aussi durablement la congrégation des Sœurs de la Sainte Katharina. L’État interdisait le recrutement et le déplacement des membres et la fondation de nouvelles communautés. La plupart des sœurs institutrices furent obligées de changer d’activité pour se diriger vers les soins de malades. Une activité tolérée par l’État. En 1875, l’interdiction de toute la congrégation fut évitée uniquement par la diplomatie des supérieures et des soutiens étatiques et ecclésiastiques importants. Comme beaucoup d’autres congrégations, les Katharinenschwestern cherchaient à éviter les restrictions auxquelles elles étaient soumises à l’intérieur du pays par le biais de fondations à l’étranger. Les congrégations de la Prusse occidentale se dirigèrent vers la Hollande, la Belgique, la France ou l’outre-mer. Celles de la Prusse orientale optèrent pour Helsinki ou St. Petersburg, comme les Katharinenschwestern. Limitées dans leurs engagements à l’intérieur du pays, les sœurs retrouvèrent à l’extérieur une nouvelle dynamique, qui influença l’ensemble de la congrégation. De la fin du Kulturkampf jusqu’au début de la Première Guerre, le nombre de leurs membres avait presque triplé. En conséquence, il fallait trouver d’autres activités pour ces femmes attirées par la vie religieuse active : les établissements pour les soins des malades et des orphelins, des hospices et des crèches ouvrent à Berlin, en Angleterre et finalement en 1897 au Brésil, où elles s’occupèrent d’abord des migrants européens et plus tard de l’enseignement dans différentes localités brésiliennes. R. Meiweis donne des indications intéressantes sur le financement des activités, les liens entre les communautés en Allemagne et au Brésil ainsi que les rapports entre différentes congrégations féminines et masculines travaillant dans ce pays.

Les Katharinenschwestern se sont développées au fil des siècles, passant d’une communauté religieuse locale à une congrégation transnationale. Celle-ci assurait sa cohésion par des règles communes, des noviciats centralisés qui garantissaient une formation similaire à toutes les jeunes sœurs, une correspondance importante et des voyages de visitation. Aujourd’hui, les Katharinenschwestern vivent en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie en suivant le chemin spirituel de leur fondatrice Regina Protmann, béatifiée en 1999. Elles se consacrent toujours à l’éducation, aux soins des malades et au travail social et pastoral.

Dans la conclusion, R. Meiweis discute la thèse de la vie religieuse comme vecteur d’émancipation sociale et économique pour les femmes du xixe siècle, à la lumière de l’histoire particulière des Katharinenschwestern. La « féminisation de la religion » analysée par plusieurs auteurs (Götz von Olenhusen, 1995, Frauen unter dem Patriarchat der Kirchen, Stuttgart; Saurer (ed.), 1995, Die Religion der Geschlechter. Historische Aspekte religiöser Mentalitäten, Wien ; Claude Langlois, 1984, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à la supérieure générale au xixe siècle, Paris ; Barbara Welter, 1976, « The Feminisation of American Religion 1800-1860 » in : M.S. Hartmann et L. Banner (eds.), Clio’s Consciousness Raised. New York: p. 137-157) ainsi que les transformations politiques et les changements rapides de la société peuvent expliquer l’augmentation du nombre de religieuses dans la deuxième moitié du xixe siècle en Europe en général et dans le Ermland en particulier. Au sein de la congrégation des Sœurs de Sainte Katharina, les femmes avaient la possibilité de mener une vie religieuse de prière et d’exercices religieux, de pratiquer une profession et de vivre une vie matériellement sécurisée. Selon R. Meiweis, c’est précisément cette articulation entre spiritualité spécifique, sécurité économique et opportunités professionnelles, entre motivations séculières et religieuses, qui permet d’expliquer la croissance continuelle des Katharinenschwestern jusqu’en 1914.

Avec ce travail R. Meiweis a fourni à la fois une contribution importante pour comprendre l’histoire de l’Église catholique du Ermland, l’histoire sociale de cette partie de la Prusse ainsi que l’histoire des femmes et de la transnationalisation du religieux. Écrit à la demande de la congrégation elle-même, ce livre indique peut-être que les congrégations féminines ouvrent de plus en plus leurs archives aux chercheurs. Cette publication montre également que l’on peut allier la recherche d’une présentation de soi et un travail scientifique rigoureux. L’ouvrage de R. Meiweis est un des rares exemples d’une monographie critique, consacrée à une congrégation féminine dans son contexte local et international tenant compte de l’interaction des facteurs politiques, socio-économiques et religieux.

Katrin Langewiesche

Nancy Tatom Ammerman
Sacred Stories, Spiritual Tribes. Finding Religion in Everyday Life

Oxford, Oxford UP, 2014, 376 p.

C’est à une étude ambitieuse que se livre l’auteur de cet ouvrage en se penchant sur la sacralisation du temps, de l’espace et des gestes dans la vie quotidienne des Américains d’aujourd’hui. Avec les outils de la sociologie et de l’ethnographie, elle a suscité et recueilli des récits personnels de 95 individus, qu’elle analyse ensuite pour retrouver, parmi les mille et un rites insignifiants de la vie familiale, de l’organisation domestique, de la sociabilité du travail ou de la vie publique, les traces d’une religiosité dont elle tente ensuite de définir les grands principes. D’autres sources sont convoquées dans le dossier : photos prises par l’auteur chez des particuliers, journaux personnels etc. La diversité des milieux rencontrés – protestants conservateurs, protestants afro-américains, catholiques, juifs, mormons, wiccans, athées – permet de brosser un tableau complet, nuancé et comparatiste de cette traversée du sacré dans l’ordinaire des jours. La démarche est intéressante, la méthodologie clairement exposée, et l’étude aboutit à la mise en exergue de nombreux points communs dans les pratiques des individus, quelles que soient leur origine sociale et leur affiliation religieuse. La religion vécue (lived religion) articule l’expérience de la transcendance, la reformulation de génération en génération de traditions héritées, la répétition, en marge des prescriptions institutionnelles, de gestes religieux. Cette religion invisible et pourtant essentielle est, suppose l’auteur après deux générations de sociologues, ce qui reste du fait religieux après la sécularisation. L’absence de Dieu dans maints discours retranscrits, où il est pourtant bien question de spiritualité, tend à prouver que la sensibilité religieuse s’est progressivement émancipée des cadres des Églises. Sacré et profane sont étroitement mêlés dans la vie quotidienne des Américains. L’auteur décentre aussi, de manière originale, la question de l’identité religieuse, estimant qu’elle n’explique pas grand-chose dans les récits de vie qu’elle a compilés. Cette étude, par les hypothèses qu’elle présente et la tentative de théorisation du fait religieux contemporain qu’elle expose, montre ce que l’Occident a à apprendre de lui-même par la sociologie de la religion.

Fabienne Henryot

Benjamin Astresses, Stéphanie Douteaud, Carole Gabel (dir.)
La religion dans la rue. Fait religieux et espace public

Perpignan, PUPPA, 2013, 212 p.

Au croisement du droit, de la sociologie et de l’histoire, ce recueil d’actes d’une journée d’études doctorale met en évidence l’articulation (la « collision » selon Olivier Lecucq) problématique de deux conceptions opposées de la religion : d’une part, une démarche personnelle et privée, relevant de la croyance, et d’autre part, la manifestation publique de cette démarche, par le biais du débat et des interactions sociales. La rue est par excellence le territoire que chacun, à titre personnel ou collectif, cherche à s’approprier, aussi bien pour des raisons publicitaires que pour des motifs charitables. Ces appropriations concurrentes mettent en péril la liberté – de conscience, de croyance, de pensée, de culte – mais montrent aussi comment se rééquilibrent perpétuellement les minorités, les groupes clandestins et les groupes dominants. L’ouvrage montre aussi, à grand renfort d’études de cas (celui des protestants espagnols au xviiie puis au xxe siècles, celui des lieux de culte musulmans à Rome et à Strasbourg, des tsiganes, mais aussi des congrégations religieuses en temps d’épidémie au xixe siècle), comment la question de « la religion dans la rue » relève autant des pratiques que des représentations, du ressenti des différents groupes religieux.

Fabienne Henryot

Samuel M. Behloul, Susanne Leuenberger, Andreas Tunger-Zanetti (dir.)
Debating Islam. Negotiating Religion, Europe and the Self

Bielefeld, Transcript Verlag, 2013, 372 p.

L’islam semble cristalliser aujourd’hui toutes les tensions du champ politique, culturel et social. Les auteurs de cet ouvrage collectif, issu d’un colloque qui s’est tenu à Berne en septembre 2011, ont cherché à définir les modalités du débat qui enserre aujourd’hui l’islam et son « étrangeté » dans les sociétés occidentales depuis la fin des années 1980, jusqu’à renforcer ou au contraire modifier en profondeur les discours normatifs produits par les États et les sociétés. La plupart des études de cas ici présentées concernent la Suisse, particulièrement sensibilisée par le débat avec la votation relative aux minarets en 2009. Elles sont élargies à l’ensemble de l’espace européen, c’est-à-dire à une juxtaposition de situations particulières : la laïcité française, le contexte germanique et autrichien, les crispations qu’a connues le Danemark suite à la publication en 2005 de représentations humoristique du Prophète. La question des Européens convertis à l’Islam est également posée avec pertinence, au titre des identités individuelles et collectives qui façonnent la société. Il ressort de ce volume que l’Islam est tout à la fois une réalité (avec des croyances clairement énoncées, des rites et un corpus juridique propres) et une représentation, celle-ci étant particulièrement malmenée depuis que l’islam est assimilé au terrorisme. Les auteurs proposent de – et parviennent à – saisir la place de l’Islam et plus encore celle de son image dans les sociétés européennes. Ils montrent les dangers et les limites d’un pluralisme religieux fondé sur la seule appréciation des représentations.

Fabienne Henryot

François Boespflug
Le Prophète de l’islam en images. Un sujet tabou ?

Montrouge, Bayard, 2013, 185 p.

L’auteur de ce bref essai, fin spécialiste de l’iconographie religieuse chrétienne, se penche ici, en historien des religions, sur le présupposé de l’irreprésentabilité de Mahomet. Il démontre que cet interdit, présenté comme une loi séculaire et définitive, va à l’encontre du droit musulman, de l’histoire de l’islam – des représentations du Prophète sont connues dès le xiiie siècle – et de la théologie musulmane. Il rappelle l’urgence de démystifier cet interdit qui relève de la désinformation et qui pèse lourdement dans l’opinion publique. Et il y parvient brillamment, en explorant le Décalogue, le Coran, la Sunna, la littérature musulmane médiévale, les études d’histoire de l’art des dernières décennies, qui tous montrent que ni de fait, ni de droit, la représentation du Prophète n’est interdite et encore moins non pratiquée par les musulmans eux-mêmes. L’auteur montre que l’interdiction récente résulte en réalité de crispations exacerbées, au sein d’un islam pluriel, au fur et à mesure de la montée de la culture visuelle et de ses vecteurs (photographie, cinéma, télévision). La seconde moitié de l’ouvrage est une galerie de vingt images de Mahomet dans l’enluminure, la peinture murale et l’image de grande diffusion (cartes postales, posters etc.). Il faut se réjouir de cet ouvrage salvateur et pédagogique, qui questionne respectueusement l’islam et lui rend la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art, et dans la sociologie de la culture contemporaine.

Fabienne Henryot

Benjamin Gailly
L’influence des religions sur le droit laïc.
L’exemple du statut juridique de l’embryon

Paris, L’Harmattan, 2013, 229 p.

Les progrès spectaculaires de la médecine ne permettent plus aujourd’hui de répondre de manière tranchée sur ce qu’est un embryon, selon son âge, les modalités de sa constitution (naturelle ou artificielle) et l’attente affective à laquelle il répond. Les religions représentées en France ont participé aux débats bioéthiques au moment des votes parlementaires, et l’auteur s’interroge sur l’influence de leurs discours dans un État laïc. Pour ce faire, il a consulté les représentants des quatre religions ou confessions qui siègent au Comité consultatif national d’éthique. Le droit français ne reconnaît pas de personnalité juridique à l’embryon ; le judaïsme et le protestantisme voient en lui une « personne potentielle », tandis que l’islam et le catholicisme lui accordent une nature intrinsèque. L’auteur remarque que les monothéismes se sont organisés efficacement de manière interne, avec des commissions de réflexion sur la bioéthique afin de délivrer un discours univoque, qui est relativement bien écouté au niveau de l’État par le biais d’instances permanentes au niveau du pouvoir législatif français et des institutions européennes. Leur poids dans les débats parlementaires n’est toutefois pas équivalent, du fait des convictions propres des députés, et des relations diplomatiques privilégiées entre l’État et le Vatican. Il reste pourtant difficile de saisir ce qui, dans la rédaction des lois qui encadrent les pratiques médicales concernant l’embryon, relève de l’influence religieuse et ce qui tient de l’humanisme, peut-être imprégné d’une longue tradition chrétienne. Sans donc délivrer de conclusion claire – ce que l’on peut regretter – cet ouvrage a le mérite de faire un point très pédagogique sur une question délicate.

Fabienne Henryot

Marie Gillespie, David E. J. Herbert, Anita Greenhill (éd.)
Social media and religious change

Berlin, De Gruyter, 2013, 232 p.

Les médias sociaux sont plus qu’un segment de la Toile ; ils sont une Toile à part entière, avec ses technologies, ses usages, ses civilités. Cet ouvrage se propose de comprendre comment, pourquoi et avec quels résultats ces outils sont convoqués dans la construction du fait religieux contemporain occidental et des spiritualités. L’exhibitionnisme favorisé par les médias sociaux (photos, vidéos et commentaires personnels, profils réels ou fictifs) permet en effet l’édification de véritables mythologies. On le voit, par exemple, avec les martyres de musulmans radicaux mis en ligne, avec les comportements d’une nouvelle génération de juifs sur Facebook, avec les groupes évangéliques présents sur YouTube, avec la déification de Michael Jackson après son décès. Ces plateformes d’échange ont réduit d’autant le pouvoir des médias tout court, dont elles se sont totalement émancipées.

Mais le changement religieux dans tout cela ? Certes, le fait religieux repose sur les communautés et leurs identités, et l’on voit bien ce que celles-ci peuvent retirer de l’usage massif des médias sociaux. Peut-on pour autant désigner en ceux-ci des « catalyseurs » ? Certes, les médias sociaux, par leur nature, permettent aux religions de se refonder en dehors des discours institutionnels, même si ceux-ci savent bien aussi user de ces médias pour se donner une nouvelle visibilité. Pour autant, à la lecture de l’ouvrage, il semble que ces médias n’ont fait qu’accélérer un processus qui était de toute façon en marche, quel que soit le support qu’il emprunterait. Les médias sociaux n’ont sans doute rien changé, mais ils ont favorisé le changement.

Fabienne Henryot

Peter Opitz (ed.)
The Myth of the Reformation

Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 2013, 382 p.

Cet ouvrage, bilan d’un colloque qui s’est tenu à Zürich en juin 2011, prend le contre-pied de l’historiographie classique sur l’émergence des réformes au xvie siècle, et montre que les figures de Calvin, Luther, Viret et les autres relèvent d’une sorte de mythologie réformée, construite au sein de la Réformation ou en dehors d’elle, chez ses opposants, selon les cas. Les auteurs ont privilégié la provocation dans des titres éloquents : « la réformation, un événement germanique » (E. Campi) ; « Un Luther apocalyptique » (R. L. Petersen) ; « Calvin, amoureux de l’ordre » (J. Balserak) etc. Le biais est intéressant, en ce qu’il permet de saisir ce qui, dans la multiplicité des réformes religieuses qui affectent l’Europe occidentale et centrale au xvie siècle, dans leur enracinement spatial et sociologique, relève de l’invention, immédiate ou a posteriori.

Les acteurs de cette invention sont désignés au fil des contributions de cet ouvrage : la théologie et l’exégèse d’Heinrich Bullinger contient en elle-même les éléments d’une représentation idéale du pasteur réformé, par exemple. Les biographies, l’iconographie ont dès le xvie siècle alimenté la fabrique d’une image de la réformation, qui la situait dans l’histoire et l’espace chrétiens comme un mouvement salvateur.
Le point de vue est un peu réducteur mais il est très stimulant. Il montre tout le bénéfice que l’historien du christianisme et, au-delà, l’historien des religions peuvent retirer d’une histoire des représentations autoproduites ou imposées de l’extérieur, qui constituent véritablement un second moment fondateur, après la réforme elle-même. La création d’un mythe des origines et le culte d’un fondateur reste essentiel dans le protestantisme. On en pourra dire autant du catholicisme au premier âge moderne, et plus généralement, de toutes les mouvances religieuses traditionnelles ou émergentes. On regrettera seulement que les auteurs de l’ouvrage ne se soient pas donné la peine de l’introduire convenablement, pour mettre en perspective les dix-neuf contributions qu’il contient.

Fabienne Henryot

Anton M. Pazos (dir.)
Pilgrims and Pilgrimages as Peacemakers in Christianity, Judaism and Islam

Farnham, Ashgate, 2013, 279 p.

Ce recueil collectif entend articuler le fait pèlerin dans toutes ses dimensions – dévotionnelle, topographique, identitaire – et les processus de paix, au carrefour de l’histoire et de l’anthropologie. Les trois monothéismes sont convoqués dans cette intéressante problématique : christianisme, judaïsme, islam. L’ampleur du sujet, celle de l’aire géographique embrassée (Europe, Asie, Afrique), celle de la période chronologique considérée (du Moyen Âge au xxie siècle) ont décidé les auteurs à préférer pour moitié les synthèses, choix judicieux, éclairées ensuite par des études de cas. À rebours d’une conception conquérante du voyage religieux (la croisade), les auteurs suggèrent que le pèlerinage, en favorisant la découverte des cultures, de l’altérité, réduit toute tentation de nationalisme et de localisme et s’inscrit dans les différents modes du « vivre ensemble » ou de la « coexistence religieuse » chère aux historiens de la modernité. Le pèlerinage est en effet l’occasion d’une déshabituation pour celui qui l’entreprend, un renoncement au confort matériel et psychologique. Il pose aussi d’une autre manière le sens du communautarisme : le pèlerin quitte un groupe (classe sociale, corporation professionnelle, groupement religieux) pour en rejoindre un autre, celui des pèlerins, mais composite et hétérogène. Cela est particulièrement vrai pour les chrétiens – et parmi eux, principalement les catholiques. Et moins pour les juifs, chez qui le pèlerinage est aussi l’occasion de réactivation de la mémoire collective, qu’elle se situe à Jérusalem ou sur les lieux de l’holocauste. Les études de cas montrent le rôle de la démarche pèlerine dans la construction de la paix sociale, de la diplomatie entre États et de la paix entre communautés ethniques et confessionnelles. On le voit, l’entrecroisement de ces deux sujets est épineux mais prometteur ; nul doute qu’il produira à l’avenir d’autres travaux et d’autres débats.

Fabienne Henryot

Peter Wick et Volker Rabens (éd.)
Religions and Trade. Religious formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between East and West

Leiden, Brill, 2014, 373 p.

Ce recueil de contributions en histoire des religions pose avec pertinence la question de savoir comment les mécanismes du commerce, ses acteurs, ses lieux et ses doctrines ont pu favoriser les contacts entre traditions religieuses différentes, notamment entre les civilisations orientales et occidentales, comment se sont opérés des emprunts, des syncrétismes, voire des détournements d’une religion à une autre. Par exemple, G. T. Halkias s’intéresse aux transferts culturels entre le monde hellénistique et l’Asie centrale après les guerres d’Alexandre. Il montre que les échanges ont été asymétriques (ils le sont, dans tous les cas) au même titre que les échanges économiques, mais qu’ils ont contribué à former un bouddhisme hellénistique, sans conflit ni violence, seulement par l’existence de zones de contacts traversées par des routes, des caravanes et des marchands, et ponctuées de marchés et de places commerciales. Les données économiques façonnent ainsi l’espace religieux, comme le montre aussi le cas du bouddhisme du nord du Pakistan. Le religieux se prête aussi à l’échange commercial, ainsi que le présente J. G. Westenholz avec la déesse Nanaya, dont les représentations et les symboles circulent grâce aux marchands dans tout l’orient durant plus d’un millénaire, via des objets de plus en plus demandés avec la popularisation de ce culte dans l’espace sogdien. Le commerce a aussi favorisé la circulation des savoirs religieux et les amalgames de textes religieux et des rites qu’ils prescrivent, comme l’observe G. Herman à propos de la fête de l’Hanoucca dans le talmud babylonien et dans les pratiques des zoroastriens.

Ces passionnantes études de cas masquent deux difficultés. D’abord, il n’est guère question de la manière dont les religions anciennes façonnent une éthique des échanges marchands, hormis, de manière allusive, dans la dernière partie de l’ouvrage. D’autre part, l’universalité de la question des syncrétismes et des dynamiques qui traversent les religions ne semble pas prise en compte. Dans le temps et l’espace, bien au-delà de l’Antiquité, l’un et l’autre ont transformé localement les manières de croire et de se comporter par l’assimilation des pratiques religieuses d’autrui.

Fabienne Henryot

Bernard Barbiche, Christian Sorrel (dir.)
La France et le Concile Vatican II

Bruxelles, PIE Peter Lang, 2013.

Les colloques ont cela de précieux durant les commémorations qu’ils permettent de fixer les sujets d’intérêt dans la durée. Ainsi en est-il de cet ouvrage, traduction d’une riche et dense journée d’études contemporaine du 50e anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II. Les actes, promptement réunis par les deux maîtres d’œuvre, Bernard Barbiche et Christian Sorrel, permettent d’établir un solide état des lieux de la recherche française sur Vatican II mais prouvent également la vitalité d’une historiographie qui n’a pas dit son dernier mot. Deux axes essentiels apparaissent dans cet ouvrage. D’une part la priorité donnée à l’Archive (ce qui explique l’implication institutionnelle du Ministère des Affaires étrangères, du Centre national des Archives de l’Église de France et la collaboration des Archives nationales). Cela permet surtout d’esquisser de réelles perspectives de recherche dans les fonds publics comme ecclésiaux, ce qui n’est pas rien au vu de l’héritage de la recherche conciliaire. Deuxième axe, clairement voulu dans l’orientation de ce colloque : la priorité donnée aux acteurs du Concile. L’histoire conciliaire se fait ici à hauteur d’hommes dans une galerie finement pesée de portraits qui recherche la synthèse. On pourrait faire l’analogie avec l’ouvrage du chercheur belge, Jan Grooters : Actes et acteurs à Vatican II (1998). Cette orientation est bien sûr notable dans le souci d’incarner la théologie conciliaire à travers les deux grandes figures d’experts de Congar (Éric Mahieu) ou de Lubac (Loïc Figoureux).

Ce parallélisme biographique peut même être poussé avec deux figures pourtant bien différentes – Tisserant (Étienne Fouilloux) et Garrone (Christian Sorrel) – mais dont on n’oublie pas qu’ils ont été tous deux cardinaux de curie. On pourrait d’ailleurs espérer qu’un jour (quand les archives le permettront…) que Christian Sorrel s’empare de ce sujet comme Étienne Fouilloux l’a fait pour le cardinal originaire de Lorraine. De duo il est encore question avec l’évocation des ambassadeurs – Guy de la Tournelle, René Brouillet – dont Jean-Dominique Durand se saisit surtout pour fixer la mission de l’ambassade de France près le Saint-Siège. Son rôle majeur dans la sociabilité romaine avant, pendant et après le concile est éclairé par des Archives qui s’ouvrent encore. La liste des acteurs s’allonge avec les chroniqueurs. La communication d’Yves Poncelet rappelle la nécessaire attention à porter aux journalistes (Henri Fesquet, le P. Wenger) qui ont été les plumes du concile. Leurs articles ont servi l’histoire de Vatican II. Les acteurs, encore une fois, doivent être mieux connus. Cette veine biographique n’a pas besoin d’être défendue lorsqu’on évoque la figure de Jean Guitton, l’ami de Paul VI, croqué ici par Philippe Chenaux. Enfin deux communications, celle de Philippe Levillain sur les prodromes de Vatican II et celle de Michel Fourcade sur les riches lendemains du Concile dans le « débat théologico-politique français », encadrent le colloque.

Au total cette journée d’études, qui bénéficie d’une édition soignée (iconographie et index), fait œuvre de synthèse et ouvre dignement « la commémoration historiographique » des années 2012-2015.

Frédéric Le Moigne