Frédéric Amsler et Sarah Scholl (dir.)
L’apprentissage du pluralisme religieux. Le cas genevois au XIXe siècle

Genève, Labor et Fides, 2013, 283 p.

Genève, cité de Calvin. Le stéréotype a la vie dure ! C’est aussi aujourd’hui une ville cosmopolite et frontalière où les catholiques sont majoritaires. Dans cet écart réside la pertinence du sujet choisi par les auteurs de ce livre, qui explorent, à travers 14 articles, la manière dont les Genevois ont pensé l’appartenance religieuse et la nécessité du « vivre ensemble » au cours du xixe siècle. Les dynamiques démographiques, la politique religieuse qui résulte de la Constitution genevoise (1842 puis 1847) donnent d’abord la mesure du problème du pluralisme religieux dans cette ville. Une série d’article analyse ensuite les formes et les lieux du vivre ensemble : l’école, l’historiographie, la pastorale, l’œcuménisme. La gestion des conflits montre enfin comment le pluralisme est effectivement une construction progressive et un apprentissage pour les populations, sommées de trouver divers arrangements pour que les questions confessionnelles ne mettent pas à mal la communauté politique.

Fabienne Henryot

James L. Cox
Critical Reflections on indigenous religions

Farnham, Ashgate, 2013, 202 p.

L’étude des religions indigènes, particulièrement sud-américaines et africaines, mais aussi australiennes, intéresse de plus en plus la communauté universitaire, à l’heure où la mondialisation et les flux migratoires mettent en péril l’intégrité rituelle et le corps des croyances de ces religions. Cet ouvrage collectif se propose, à travers six études de cas et cinq articles méthodologiques, de définir de manière critique les « religions indigènes » comme objet étude et de saisir les implications de cet objet dans les différents champs de la recherche (sociologie, sciences des religions, histoire, ethnologie, anthropologie etc.). Un passage par l’histoire (les religions scandinaves anciennes, le druidisme, les définitions des « religions indigènes » héritées de l’historiographie ancienne) permet de préciser le propos. Les effets de la colonisation puis de la décolonisation sont également étudiés. Au total, l’ouvrage est une contribution importante à cet objet. Signalons également la parution récente d’un autre livre sur le même sujet : Helena Onnudottir, Adam Possamai et Bryan S. Turner (dir.), Religious change and indigenous peoples: the making of religious identities, Farnham, Ashgate, 2013, 149 p.

Fabienne Henryot

Jonathan M. Bloom
The Minaret, Edinburgh Studies in Islamic Art

Edinburgh University Press, 2013, 392 p.

Alors que la majorité des publications universitaires sur l’islam sont marquées soit par un « occidentalocentrisme » qui mesure la place de cette religion selon celle que la tradition judéo-chrétienne veut bien lui laisser dans nos sociétés, soit par une forte intention apologétique, voici un livre qui examine la question des minarets « de l’intérieur ». L’histoire de cette architecture si polémique en Europe est brossée à grands traits, des éléments de justification sont avancés à partir d’une solide étude des textes et des traditions sacrées musulmanes, enfin une comparaison des pratiques de construction est menée à la fois dans le temps (du Moyen Age à nos jours) et dans l’espace (Maghreb, Moyen Orient). L’ouvrage est assorti d’une intéressante iconographie.

Fabienne Henryot

Françoise Douaire-Marsaudon et Gabriele Weichart (sous la dir.)
Les dynamiques religieuses dans le Pacifique : formes et figures contemporaines de la spiritualité océanienne
(Religious dynamics in the Pacific: contemporary forms and key figures of Oceanian spirituality)

Pacific-Credo publications, 2011, 266 p.

Les onze anthropologues qui ont participé à cette publication s’interrogent sur l’« extrême diversité, à la fois des formes d’imposition et d’appropriation du christianisme et des modes de mutation religieuse autochtone ». La question posée est la suivant : existe-t-il un modèle d’analyse qui permettrait de comprendre l’ensemble des transformations induites par ces phénomènes ?

Les contributions de l’ouvrage qui couvrent un espace géographique assez large comme la Mélanésie (Nouvelle-Guinée), les archipels polynésiens de Samoa et Tonga, et l’Indonésie orientale, s’insèrent dans une démarche qui renouvelle les méthodes d’analyse de la christianisation des populations océaniennes. L’un des points principal, fruit du choix épistémologique de ces anthropologues, est le recours à l’histoire, c’est-à-dire, à l’intégration dans la démarche anthropologique des temporalités historiques. Anthropologie et histoire se mobilisent en analyses fines pour saisir les formes d’appropriation du christianisme. Comme il n’est pas possible d’épuiser la richesse des contributions, nous voudrions attirer l’attention sur trois points : le rapport au passé, les formes d’appropriation du christianisme et les formes de rejets.

Le va-et-vient entre présent et passé est essentiel dans la démarche de Françoise Douaire-Marsaudon. Elle montre qu’à Tonga, les chefs se sont approprié le christianisme afin de mieux légitimer leur pouvoir. En revanche, elle s’interroge sur « l’imbrication de la religion et des Églises chrétiennes dans la vie politique locale. De ce point de vue, on pourrait dire qu’il existe une continuité forte avec le passé de ces sociétés, dans la mesure où le politique et le religieux n’y ont sans doute jamais constitué des sphères séparées au sein de la vie sociale », même si ces rapports ont pris des formes différentes au cours du temps. Or quel type de rapports entretiennent les Tongiens avec leur passé alors qu’ils « revendiquent aujourd’hui le christianisme comme une source fondatrice de leur histoire » ? Denis Monnerie s’intéresse lui aussi au christianisme dans ses rapports au passé et à la mémoire dans une région (Hoot ma Whaap) de Nouvelle-Calédonie située au Nord de la Grande Terre, christianisée au xixe siècle. Il cherche à comprendre comment s’est implanté le catholicisme à travers l’observation et l’analyse des cérémonies qui se sont tenues plus d’un siècle plus tard. Il s’interroge sur la manière dont les Kanak, depuis les débuts, ont tenté de contrôler les prêtres et les pratiques religieuses. Sur l’île de Tana, au Vanuatu, un certain John Frum s'était fait passer pour un dieu et est devenu rapidement un « prophète » aux yeux de nombreux habitants. Marc Tabani explore la continuité de ce culte millénariste dans l’île aujourd’hui, et afin de comprendre toute l’originalité du culte de John Frum, il « accorde une attention toute particulière à la question du temps et de l’indigénisation des représentations millénaristes. »

Ces relations au passé révèlent l’importance de la place prise par le christianisme sous toutes ses formes. La manière dont certaines populations ont voulu contrôler la nouvelle religion s’inscrit dans les diverses formes d’appropriation du christianisme. Ainsi, Richard Eves montre que chez les Lelet de Nouvelle-Irlande, la magie a survécu et existe au sein de la structure du christianisme dans lequel elle s’ajuste très bien. Au sein des sociétés comme Samoa et Tonga, Andrew Robson écrit qu’après 1830, la conversion au christianisme fut une affaire délibérée, pragmatique et personnelle. Il montre que l’éducation scolaire, des considérations matérielles ainsi que la conviction religieuse jouèrent un rôle dans la décision d’adopter la religion nouvelle. Enfin, les Samoans se sont engagés dans un processus d’intégration du christianisme au sein de leurs propres traditions culturelles, le dépouillant de son caractère occidental et de religion étrangère. Chez les Asmat de Papouasie occidentale, les Pères Crosiers (catholiques) et les membres de The Evangelical Alliance Mission (T.e.a.m protestants) ont été les principaux responsables des tentatives d’évangélisation. Astrid de Hontheim montre comment les Asmat composent avec la maladie et l’infortune. Elle évalue 1’implication des missionnaires au plan médical ainsi que la façon dont cette implication joue sur la confiance que leur accordent les Asmat.
Reste les formes de refus de la nouvelle religion. Pascale Bonnemère s’est plongée dans la christianisation par l’Église luthérienne, depuis 1972, des Ankave de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Aucun des pasteurs n’a duré plus de deux années. Dans les années 1990, l’un d’eux a fini par être chassé, tellement il s’était montré méprisant de la culture locale et des hommes qui la défendaient. « Comme le montre M. Jeudy-Ballini, ce sont d’ailleurs les interdits plutôt qu’un système particulier de croyances religieuses qui, chez les Sulka, caractérisent les Adventistes du Septième jour (Sda) par opposition aux catholiques « qui n’ont rien changé de leur mode de vie ». Il est aujourd’hui impossible de savoir ce qu’il adviendra chez les Ankave, mais il est probable qu’une Église qui n’impose pas à ses membres de renoncer à certains des plaisirs de la vie d’antan a plus de chances de s’implanter durablement qu’une autre qui bannit le tabac et la chique de bétel, quand ce n’est pas la viande de porc. »

La contribution de Gabriele Weichart sur la société de Minahasa, au nord-est de Sulawesi, en Indonésie amorce un début de méthode comparatiste dans ce domaine de la christianisation et de ses dynamismes. L’auteur nous apprend que « l’histoire de sa christianisation, les réactions des indigènes, leur mode d’adoption et d’ajustement du christianisme à leur culture, montrent de nombreuses similarités avec les exemples issus des îles du Pacifique. »

Nous laissons l’anthropologue Françoise Douaire-Marsaudon conclure sur les apports essentiels de cet ouvrage : « Comme le montre l’ensemble des contributions au présent ouvrage, l’anthropologie religieuse des sociétés du Pacifique apparaît aujourd’hui considérablement transformée et enrichie, grâce en particulier à un retour réflexif et critique sur son propre champ de recherche, susceptible de donner sens à une moisson considérable de données nouvelles. L’un des choix épistémologiques issus de cette réflexion a été, dans les années 1990, de reconsidérer la dimension historique des phénomènes impliqués dans les dynamiques religieuses, un choix auquel souscrivent la plupart des auteurs de cet ouvrage. Celui-ci témoigne aussi d’une idée émergente des recherches en cours, qui consiste à prendre aussi en compte la subjectivité de l’expérience religieuse dans toute sa diversité, dans ses manifestations les plus spectaculaires comme dans ses aspects les plus secrets ou les plus cachés. »

Yannick Essertel

Jane Garnett, Alana Harris (dir.)
Rescripting Religion in the City. Migration and Religious Identity in the Modern Metropolis

Farnham, Ashgate, 2013, 224 p.

Cet ouvrage collectif entend, d’une manière bien anglo-saxonne, étudier les marges et les frontières. Celles d’abord, des cultures et des nations, à travers le phénomène de l’immigration et les conséquences de celle-ci dans les pratiques et les identités religieuses. Celles, ensuite, des disciplines universitaires, en réfléchissant aux sens variés que revêtent certains concepts selon que l’histoire, l’anthropologie, la théologie s’en emparent. C’est notamment le cas des notions de « foi », « migration », « ethnicité » et « identité », au travers de prismes aussi ambitieux et multiples que le genre, la génération, l’identité – autant de points d’observation qui posent problème, même si cet ouvrage les évacue un peu rapidement. Il en résulte une série d’analyses, ancrées principalement dans la ville de Londres et occasionnellement dans d’autres lieux (Jérusalem, Paris, la Pologne, les États-Unis, l’Australie), qui examinent l’ancrage spatial du religieux en ville d’après plusieurs indicateurs, sonores, corporels, sensoriels. La combinaison de ces éléments en contexte de confrontation culturelle et religieuse conduit à réinventer la ville, l’articulation fonctionnelle et symbolique des espaces.

Fabienne Henryot

Sarah Harvey, Suzanne Newcombe (dir.)
Prophecy in the New Millenium. When Prophecy Persist

Farnham, Ashgate, 2013, 295 p.

Prophétie, prédiction, divination, vision sont des phénomènes laïcs aussi bien que spirituels, et surgissent sans cesse dans notre paysage. Ils s’associent à des éléments traditionnels (météorologiques, par exemple), ou plus récents (communications spatiales, catastrophe informatique mondiale). Ils s’accordent à rappeler l’imminence de l’apocalypse. Cet ouvrage étudie les circonstances de la naissance des prophéties contemporaines et leur réception. Après un détour obligé par la définition des concepts, leur histoire et leurs limites, divers articles explorent l’émergence de la prophétie au sein des grandes « religions » – islam, hindouisme, protestantisme, bouddhisme tibétain. Des études de cas, à partir de faits immédiats (2012), montrent ensuite les points invariants du phénomène et ses multiples déclinaisons dans l’univers mormon, les mouvements New Age, les virus informatiques etc. Il en ressort un tableau malgré tout impressionniste du millénarisme contemporain, même si l’ambition de saisir le phénomène dans sa globalité est atteinte.

Fabienne Henryot

Mikko Heimola
From Deprived to Revived. Religious Revivals as Adaptative Systems

Berlin-Boston, De Gruyter, 2013, 197 p.

Cet essai est la version éditée d’une thèse de doctorat soutenue à l’université d’Helsinki en 2010. L’auteur s’interroge sur les liens entre le fait religieux et la cohésion sociale et entend prouver que les variations des conditions socio-économiques rendent nécessaire la renaissance des comportements rituels pour rendre confiance au corps social dans son entier et à chaque individu en particulier. La thèse n’est pas tellement neuve. Les historiens, notamment en croisant anthropologie et histoire, ont mis en évidence la nécessité du sacré, cette composante majeure du « mental collectif » selon l’expression d’Alphonse Dupront, dans les sociétés anciennes lors des mutations religieuses, économiques et sociales. Les cloisonnements disciplinaires et linguistiques ne favorisent pas, on le voit, la circulation des savoirs dans le monde académique. Il reste pourtant à cet ouvrage, qui observe la psychologie sociale et la place de l’irrationnel dans les comportements collectifs, de présenter une intéressante étude de cas dans la Finlande du début du xixe siècle, au moment où se rallume le conflit entre la Suède et la Russie. En cette période agitée, dans un espace principalement rural, tandis que le clergé voit son image ternir, trois revivals ont lieu en trois décennies, entretenus par des chefs religieux charismatiques qui utilisent le registre de l’émotion pour recréer une cohésion sociale autour de nouvelles normes.

Fabienne Henryot

Claire Reggio
Repentances catholiques. L’Église face à l’histoire (1990-2010)

Rennes, PUR, 2013.

Médiatisées, hautement symboliques, les demandes de pardon de l’Église catholique ont frappé l’opinion depuis une trentaine d’années, à rebours d’une image arrogante de l’institution. L’Évangile offre un miroir sans complaisance aux actes et responsabilités du clergé dans les guerres, dictatures, génocides et autres maux anciens ou contemporains. Qu’on admire cette humilité nouvelle ou qu’on s’agace de ses anachronismes, cette pratique de l’auto-dénonciation est intéressante en tant que telle : elle se fonde sur une théologie du péché collectif. L’auteur montre comment cette théologie, promue par Jean-Paul II, s’enracine dans la culture de l’Europe de l’Est et a connu son succès à la faveur des jubilés du dernier quart du xxe siècle, notamment celui de l’an 2000. Les modalités de la pénitence catholique montrent comment l’examen de conscience collectif prescrit par le pape a dû mobiliser toutes les Églises locales, par le biais des évêques. Parmi les principaux motifs de pénitence, l’auteur examine alors l’éthique nouvelle de l’Église par rapport aux mafias, à la dictature de Pinochet au Chili, à la Shoah, à l’impérialisme japonais, au génocide rwandais, à la guerre civile irlandaise. Il s’agit finalement de reconstituer la communion des fidèles et la communion des saints – l’existence d’un corps catholique solidaire dans l’espace et dans le temps. On peut aussi s’interroger, ce qui n’apparaît qu’incidemment dans l’ouvrage, sur la fonction communicationnelle de ces repentances, qui participent des mutations de l’image de l’Église catholique depuis quelques décennies.

Fabienne Henryot

Béatrice de Varine
Juifs et chrétiens. Repères pour dix-neuf siècles d’histoire

Paris, Desclée de Brouwer, 2013, 711 p.

Cette volumineuse synthèse offre un panorama bien commode des relations entre juifs et chrétiens avant Vatican II et l’injonction du Saint-Siège de refouler le traditionnel antisémitisme encore actif chez nombre de catholiques. L’ouvrage éclaire d’un jour nouveau les tensions entre les deux religions, en abordant d’abord l’état du judaïsme au moment de la naissance du Christ et la rupture que constitue le discours chrétien dans cet contexte, puis la diaspora et les aléas de la condition juive en Europe au Moyen Age et aux temps modernes. Si cette somme ne renouvelle guère notre connaissance du sujet (on pourra consulter, par exemple, l’ouvrage d’Olivier Rota, Essai sur le philosémitisme entre le premier et le second Concile de Vatican : un parcours dans la modernité chrétienne, Arras, APU, 2012), elle a le mérite de la clarté et de la nuance.

Fabienne Henryot